Une société se juge à son traitement des plus faibles : légaliser l'aide à mourir sans garantir les conditions de vie digne est un aveu d'échec civilisationnel. Les traitements catastrophiques que subissent les personnes âgées dans nos EHPAD devraient déjà nous alerter. Nous, Occidentaux, piétinons ouvertement la dignité humaine, la valeur de la vie en tant que telle. Légaliser aujourd'hui l'aide à mourir sans avoir au préalable assuré à chacun des conditions d'existence dignes, c'est sceller par la loi notre renoncement à l'humanité.
Le projet de loi sur la fin de vie, ou plutôt, devrions-nous dire, sur l’euthanasie, consacre l’obsolescence de l’homme incarné, une déshumanisation assumée. Les termes "aide à mourir" ou "mort digne" masquent une réalité brutale : il s’agit d’une injection létale administrée par l'État. Pourquoi ne pas nommer cela "mise à mort médicalisée" ? C’est bien là la preuve que nous avons besoin de trouver des termes plus “alléchants” pour cacher une effroyable vérité. La vie humaine n’a plus de valeur intrinsèque. Aux Pays-Bas, un projet de loi a été proposé pour autoriser l’euthanasie des plus de 75 ans au motif d’une "vie accomplie", comme si l’existence avait une date de péremption prédéterminée, comme si les êtres humains étaient, eux aussi, des objets de consommation dotés d’une obsolescence programmée. L’Homme est devenu un "périssable". Son existence se réduit à sa rentabilité. Vivre après 75 ans n’est plus utile, puisque, selon les valeurs de la société utilitariste qui est la nôtre, on ne produit plus rien. Comme si certaines vies ne méritaient plus d’être vécues. La perte d’autonomie qui accompagne la vieillesse exige un accompagnement. Dans une société matérialiste dénuée de valeurs, c’est une tare. Si l’on juge la valeur d’un homme à l’aune de sa productivité, évidemment, il devient extrêmement facile de classer l’utilité des vies, comme on trierait des produits standardisés. Nous assistons à une régression anthropologique. L’homo dignus, celui qui possédait une valeur intrinsèque, n’existe plus. Place désormais à l’homo disposable, semblable à vos gadgets jetables.
Je ne souhaite pas ici rejeter la science ou les droits individuels, mais mettre en garde contre cette ère déshumanisante dans laquelle nous avançons. L’homme n’est pas un "objet technique", ni un corps à "réparer" comme une horloge cassée, ni un objet à jeter quand il est "périmé". Cette vision cartésienne de l’humain, réduit à une mécanique matérielle, a infligé à l’Occident une fracture ontologique dont nous payons aujourd’hui le prix. Faire de l’autonomie individuelle un absolu revient à nier notre vulnérabilité constitutive. Je refuse de faire de “l’autonomie individuelle” un absolu. D’autant plus que, dans ce débat, le "droit à mourir" est célébré comme une liberté par des politiciennes comme Panot, alors que ce "choix" ressemble davantage à un abandon des solidarités.
En effet, comment parler de "maîtrise de son corps jusqu’à la dernière minute de son existence" dans un pays où obtenir l’AAH (allocation aux adultes handicapés) relève du parcours du combattant, où l’hôpital public sombre depuis des décennies sous les coupes budgétaires : urgences surchargées, personnel soignant en sous-effectif, moyens insuffisants. Nous devons d’abord reprendre collectivement la souveraineté de nos vies avant de parler de celle de nos morts.
Les cas étrangers devraient nous inquiéter : la loi dépénalisant l’euthanasie, votée en 2016 au Canada, a entraîné une explosion des cas : entre 2016 et 2022, les euthanasies ont bondi de 46 % par an. Initialement, la loi canadienne limitait l’accès aux personnes majeures souffrant de "problèmes de santé graves et irrémédiables" causant des "souffrances persistantes et intolérables". En 2021, elle a été élargie aux handicapés physiques (ceux qui ne sont pas en fin de vie). Les délais de réflexion ont été supprimés si la mort naturelle semblait "raisonnablement prévisible". L’extension aux troubles psychiques, prévue pour 2023, a été repoussée à 2027 faute de critères "acceptables". Les chiffres sont implacables : en 2022, 13 241 euthanasies (4,1 % des décès canadiens) ont été enregistrées, dont 86 % invoquaient la perte d’autonomie. Un tiers des demandeurs mentionnaient aussi "être une charge pour leur famille".
Les motifs de ce "consentement" sont troubles. Pour être valide, un consentement doit être libre, éclairé et émaner d’un sujet compétent. Or, la liberté est ici illusoire : la précarité économique, la stigmatisation du handicap ou de la vieillesse constituent des pressions sociales certaines. Dans une société obsédée par la performance, ceux qui ne correspondent pas à la norme intériorisent leur "inutilité". Combien de personnes âgées s’excusent encore de "déranger" ? Combien de personnes handicapées entendent, même implicitement, qu’elles "coûtent cher" ? Lorsque l’État légalise l’aide à mourir avant d’offrir des conditions de vie dignes, son message est clair : "On ne peut (ou ne veut) rien pour vous… mais on peut vous aider à partir." Lorsque les handicapés peinent à obtenir l’AAH, lorsque les soins palliatifs sont sous-financés, le "choix" de mourir devient un piège. Cette loi acte l’échec d’une société qui préfère éliminer ses "inutiles" plutôt que de les accompagner. Une civilisation qui priorise l’euthanasie plutôt que les soins, l’inclusion et la solidarité, a déjà renoncé à son humanité.
La légalisation de l’aide à mourir n’est pas une avancée, mais une capitulation : celle d’une société qui liquide ses vulnérables au lieu de les protéger. Légaliser l’aide à mourir dans un système de santé exsangue, c’est officialiser le triage des vies 'dignes' et 'indignes'. Une société qui ne donne pas les moyens de bien vivre n’a pas le droit d’offrir la mort comme solution. Si nous voulons vraiment "maîtriser notre existence jusqu’au bout", exigeons d’abord une société où vivre, même fragile, même vieux, même handicapé, en vaut encore la peine.
Une civilisation se juge à la manière dont elle traite ses individus les plus faibles. La nôtre semble avoir rendu son verdict.
Bonjour Nirina, je suis ton contenu depuis maintenant quelques mois. J'admire ton travail et suis reconnaissante des concepts que tu vulgarise, je suis d'accord avec toi sur un grand nombre de choses notamment ton opposition envers l'IA. Cependant sur ce sujet je ne suis pas du tout d'accord avec toi et je vais étayer mon propos du mieux que je peux.
Après une rupture d'anévrisme, ma grand mère est restée quelques jours dans le coma puis 6 mois dans un état de semi conscience ou elle ne pouvait rien faire excepté ouvrir les yeux. Cette période a été difficile pour toute ma famille, elle ne reconnaissait plus personne et pour nous tous sa "mort" symboliquement reste le jour de son accident bien qu'elle soit survenue des mois après.
Mon grand père quant à lui passé à an et demi en EHPAD et il n'a jamais été aussi malheureux de toute sa vie qu'à sa fin de vie et nous a confié qu'il aurait préféré mourir.
Tout ce que je dis c'est que il ne faut pas légaliser le droit à la fin de vie sous n'importe quelle condition, juste sous prétexte de vieillesse ou de handicap n'est pas acceptable selon moi, mais lorsqu'une personne est sous l'état de "légume" ou si elle est extrêmement âgée et préfère se retirer dignement selon ses choix que de rester malheureuse, alors je comprends la légalisation dans ces cas là. C est des fois un soulagement pour la famille de savoir que la personne en question ne souffre plus et qu'elle a pu achever sa vie de la manière dont elle le souhaitait. Mais bien sûr personne ne devrait mourir par peur d'être une charge pour l'entourage.
Merci à toi pour cet article et je te souhaite une bonne continuation.
Merci pour cet article. Je me permets d'ajouter une citation que j'avais trouvé très juste sur ce sujet : "Dès lors qu’une personne aura le choix de vivre ou de mourir, elle sera mécaniquement considérée comme l’agent de sa propre survie. Ce qui constituait pour elle un simple donné – vivre sa vie jusqu’à son terme naturel – devient sa décision. Or si c’est sa décision, ou si les autres considèrent que tel est le cas, alors ils pourront l’en tenir pour responsable, et lui demander d’en justifier." (Erwan Le Morhedec)